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Notre parrain

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Eric-Emmanuel-Schmitt-©-Pascal-Ito

Eric-Emmanuel-Schmitt-©-Pascal-Ito

Dramaturge, romancier, réalisateur, passionné de musique, Éric-Emmanuel Schmitt est l’un des auteurs les plus lus, les plus traduits et les plus représentés dans le monde.
Son œuvre littéraire est protéiforme et d’une grande richesse. Ses romans, essais, nouvelles, pièces de théâtre, bandes dessinées rencontrent un vif succès auprès du public. Membre de l’Académie Goncourt depuis 2016, directeur artistique du Festival de la Correspondance de Grignan, il nous fait l’immense honneur de parrainer la 37e édition de la Fête du Livre. Il reviendra pour nous sur son parcours littéraire au cours d’un grand entretien.

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Éric-Emmanuel Schmitt : « J’ai décidé d’être un écrivain heureux »

Dramaturge, romancier, membre de l’académie Goncourt, Éric-Emmanuel Schmitt est le parrain de la 37è Fête du Livre. Interview d’un écrivain au savoir encyclopédique, lancé dans une histoire de l’humanité en 8 romans !

Pourquoi avoir accepté ce rôle de parrain, sur la 37è Fête du livre de Saint-Étienne ?
D’abord pour Saint-Étienne, car je suis un peu de la région. Je suis lyonnais (mais pas contre Saint-Étienne, j’ai le cœur un peu plus large !). C’est une ville que je connais et que j’apprécie. Ensuite parce que je trouve important d’organiser des événements autour du livre et de la lecture. La lecture est une activité de solitaire. Et il est bon que les solitaires, parfois, se rencontrent.


Vous vous êtes lancé dans une histoire de l’humanité en 8 tomes ! D’où vous vient cette idée ? Cette envie ?
C’est une envie de comprendre comment les hommes sont passés du statut d’animaux errants à nos villes, notre société, notre monde. C’est une curiosité historique. Et philosophique. Tout cela lié à l’amour du roman. J’ai pour ma part découvert le plaisir de lire avec Les trois mousquetaires, d’Alexandre Dumas, à l’âge de 8 ans. Cette émotion fondamentale, qui est celle du plaisir de lire et de s’instruire, plane sur mon œuvre et sur ma vie. Et puis j’ai souvent voulu écrire sur les bascules de l’homme. Cette envie de raconter l’histoire de l’humanité à travers plusieurs romans m’est venue quand j’avais 25 ans. À l’époque, j’avais l’idée mais pas la capacité de la réaliser. Cela fait 30 ans que je me prépare à cette œuvre… C’est un long mûrissement !


Au cœur de cette saga, vous avez reçu une commande pour le moins étonnante…
J’écrivais le 3è tome de La Traversée des temps, intitulé Soleil Sombre. Dans mon œuvre, j’étais en Égypte et, dans la réalité, dans ma maison de campagne. Je reçois un appel du Vatican, précisément du directeur des presses du Vatican. Qui me propose de m’envoyer en terre sainte pour que j’en revienne avec un carnet de voyage, qui serait le récit d’un pèlerin moderne. J’ai accepté le voyage… mais pas la commande, en conditionnant le livre au fait que le voyage m’offre, réellement, la nourriture pour l’écrire. Ce qui fut le cas. Au retour, j’ai rencontré le pape François. À Rome. Et ce n’est qu’après, reprenant les deux carnets de notes noircis au cours du voyage, que j’ai écris Le défi de Jerusalem.


Revenons à La Traversée des temps. Votre héros, Noam, mystérieusement immortel, traverse les époques et découvre les ravages que l’homme a fait à la planète. Vous, l’éternel optimiste, avez-vous perdu foi en l’humanité ?
Non. J’éprouve un sentiment d’urgence à intervenir. Je suis un optimiste inquiet, secoué par l’actualité. Nous vivons un phénomène unique, dans l’histoire de l’humanité : nous sommes les premiers hommes à nous demander si nous ne sommes pas allés trop loin, dans l’exploitation de nos ressources. J’appartiens à mon temps et en porte les angoisses. Pessimistes et optimistes partent du même constat. Le pessimiste dit : « ça ne va pas, j’abandonne !». L’optimiste dit : « ça ne va pas, que puis-je faire ?». Mais c’est vrai qu’il y a urgence. Et mon livre, Paradis perdu, est habité par le sentiment de cette urgence. L’histoire de l’humanité est une démesure narcissique. Nous nous sommes rendus, comme disait Descartes, maîtres et possesseurs de la nature. Mais de quel droit ? Et quelles en sont les conséquences ? Nous vivons une époque où ça ne va plus de soi.

 

Quel est l’objet de cette saga, au-delà de nous faire passer un bon moment de lecture ?
Cette saga me permet de partager ma passion de l’humanité. Au fond, c’est vous permettre de vous trouver des frères et des sœurs inattendus à toutes les époques de l’humanité, au néolithique comme dans l’Égypte ancienne ou le Memphis des années 1880. J’ai envie de créer des fraternités inattendues et successives. Seul le roman peut créer cette proximité. Et puis l’autre grand atout du roman, par rapport à l’essai historique, qui raconte souvent des événements tragiques, c’est qu’il permet de conter l’histoire du bonheur. En promenant « mon » Noam à travers les époques, c’était de montrer ce que c’était qu’être heureux au néolithique, en Mésopotamie 4000 ans avant JC, puis à Memphis, en 1650 avant JC au bord d’une île. Face à l’historien condamné à l’objectivité des malheurs, le romancier expose la subjectivité des bonheurs.

 

Êtes-vous un écrivain qui s’astreint à la tâche à heure fixe ou bien l’écriture arrive-t-elle quand vous la sentez, en lien avec les humeurs et les émotions du jour ?
J’accouche quand l’enfant est à terme. Je me reconnais en Racine qui disait : « ma tragédie est faite, je n’ai plus qu’à écrire ». Mes romans mûrissent dans ma tête. Il y a un organisme vivant qui existe en moi et qui à un moment donné, les presse à venir au monde. Et là, je rédige. C’est assez mystérieux, ce qui précède l’écriture. L’embryon se nourrit de tout ce qu’il vit, sans me prévenir. Quant à moi, je réfléchis à toutes les difficultés que peut poser un récit. Tout cela est en partie réfléchi et en partie inconscient. Après, la rédaction chez moi est simple, j’ai la langue fluide. Je ne prendrai pas la pose du malade, du pathologique, de l’incompris… J’aime tout de l’écriture, la conception, l’hésitation, la refonte, l’écriture (même quand je n’y arrive pas) jusqu’au moment, critique, où je me relis. J’ai décidé d’être un écrivain heureux.

 

Vous êtes de ces écrivains qui notez tout de ce que vous vivez ou pensez au quotidien ?
J’ai assez confiance en mon cerveau, qui sait garder l’essentiel et supprimer l’accidentel. J’ai la chance d’avoir une grosse mémoire. Au Goncourt, Bernard Pivot me surnomme « l’hypermnésique ». Dès que ça m’intéresse, je retiens. Donc non, je prends assez peu de notes.

 

Dans votre œuvre, il est un roman qui dénote. C’est La part de l’autre, qui raconte la vie d’Hitler avec une alternance de chapitres biographiques et romancés. Comment est né ce livre, et pourquoi cette forme-là, pour le moins originale ?
Je vous le confirme. Cette forme-là, c’est-à-dire le passage d’un chapitre historique à un chapitre uchronique, du Hitler réel au Hitler virtuel, de celui qui a raté l’académie des Beaux-Arts à Vienne en 1909 à celui qui l’aurait réussi, n’a jamais été employée avant ni après ce livre. Si on ne fait que de l’uchronie, on est dans l’arbitraire. Si l’uchronique éclaire la réalité alors oui, il y a un enjeu intellectuel important. C’est ce que j’ai voulu faire dans La part de l’autre. En exécutant cette idée, je me suis rendu compte que j’obtenais beaucoup plus. Je comprenais comment on devient un monstre. Je comprenais comment on devient Hitler. Comprendre, ce n’est pas justifier. Ni absoudre. Comprendre, c’est saisir le mécanisme mental. C’était, d’abord, une surprise et, ensuite, un énorme gain éthique et moral. Dans tout ce que j’avais vu, Hitler, c’était l’autre. Un fou, un malade, un démon. Et là, je découvrais qu’Hitler, c’est moi si… Moi si je refuse la complexité des causes pour choisir un bouc émissaire. Moi si je veux toujours avoir raison. Etc. Là, j’ai fait la découverte extraordinaire qu’au fond de chacun de nous, il y avait la possibilité de fabriquer ça. Je faisais exactement le contraire de tout ce qu’a fait l’intelligentsia française, dont la posture était de ne même pas s’approcher du sujet.

 

Le travail sur ce roman a-t-il été éprouvant ?
Oui, car j’ai laissé le personnage principal, Hitler, entrer en moi par tous les moyens. Et je suis fait de telle sorte que lorsque j’écris un roman sur quelqu’un qui boîte, je boîte aussi ! J’ai donc vécu plusieurs mois dans un malaise et une certaine tristesse, dans la suspicion et la paranoïa… C’était pesant. Une fois achevé, j’étais heureux de clore ce chapitre ; d’avoir créé cet objet qui suscite un tel orage de cerveau chez le lecteur ! Mais je me suis dit que je n’irai pas, de sitôt, consacrer de nouveau un roman à un personnage aussi empoisonnant !

 

Vous êtes entré en littérature par l’écriture de théâtre. Quelle place a le théâtre aujourd’hui dans votre quotidien?
Et bien j’ai une nouvelle pièce en cette rentrée, qui est jouée au Théâtre de la Madeleine, par Mathilde Seigner et Emmanuelle Seigner, Bungalow 21. Le théâtre a occupé mes années 90 jusqu’au début des années 2000. Je me suis consacré, après, au roman. Mais j’ai fait du théâtre autrement, en jouant mes personnages, ou en rachetant le théâtre Rive Gauche notamment, qui joue les pièces de mes contemporains. Le théâtre sera toujours là, quelque part, mais j’ai tellement de livres en tête que je mourrai, sans doute, sans les avoir tous couchés sur le papier.