Agnès Ledig est la marraine de la 39e Fête du Livre.
Romancière française des plus populaires, Agnès Ledig exerçait le métier de sage-femme quand elle a publié son premier roman, Marie d’en haut (2011). En 2013, son ouvrage Juste avant le bonheur chez Albin Michel, a été couronné par le prix des Maisons de la Presse. S’en sont suivis quatre romans à succès, traduits en douze langues. Adulée par son public, elle a ensuite publié Dans le murmure des feuilles qui dansent au printemps 2018. Agnès Ledig est également une autrice jeunesse, en 2016 elle sort Le Petit Arbre qui voulait devenir un nuage et en 2017, Le Cimetière des mots doux qui est son 2e album pour enfants, tous deux illustrés par Frédéric Pillot.
Agnès Ledig nous fera l’immense honneur de marrainer la 39e édition de la Fête du Livre et présentera son dernier roman Répondre à la nuit, paru aux éditions Albin Michel, ôde à la nature, à ses vibrations, à l’urgence de sa protection, afin de nous reconnecter à nous, aux autres et au monde sauvage.
Avec Répondre à la nuit, Agnès Ledig signe un roman engagé, entre polar et manifeste pour la sauvegarde de la nature et du vivant. Marraine de la Fête du Livre 2025, elle évoque son rapport à l’écriture et à la littérature. Une manière, dit-elle, d’éveiller les consciences. Interview.
Pourquoi avoir accepté d’être la marraine de la Fête du Livre de Saint-Étienne ?
Parce que c’est un honneur. C’est une proposition difficile à refuser. Les organisateurs ont pensé à moi, j’ai accepté avec plaisir. Je ne connais pas encore ce salon, ce sera l’occasion de le découvrir. Et puis, un salon du livre, c’est essentiel. C’est la promotion de la culture, de la lecture, ce qui me semble fondamental pour l’équilibre d’une société. C’est aussi l’opportunité de rencontrer les lecteurs. Ces échanges sont toujours riches et très instructifs.
Vous participez souvent à des salons ?
Quand je publie un nouveau roman, oui. J’essaie de regrouper mes déplacements. J’en fais quelques-uns au printemps, d’autres à l’automne. L’année prochaine sera plus calme : je publie un livre tous les deux ans environ. Mais pour moi, c’est nécessaire. L’écriture ne se limite pas à un travail devant l’ordinateur. Il y a aussi la rencontre avec les lecteurs, les libraires, les autres auteurs… Sans ces échanges, il n’y aurait pas vraiment de vie culturelle.
Vous avez connu un succès rapide avec vos romans. Pourtant, vous continuez à écrire pour la jeunesse. Pourquoi ?
J’ai commencé avec les romans. Puis j’ai eu envie d’essayer l’album jeunesse. C’est un genre que j’adore. Mes parents m’en lisaient, j’en ai lu à mes enfants. J’ai une bibliothèque entière dédiée aux albums jeunesse. J’ai donc tenté l’aventure, et ça a bien fonctionné. Quand je lui ai proposé mon premier album, Le petit arbre qui voulait devenir un nuage, ma maison d’éditions m’a permis de rencontrer l’illustrateur Frédéric Pillot. Depuis, on a travaillé sur plusieurs projets ensemble : Le cimetière des mots doux, les deux opus de Mazette. Nous avons même, ensemble, revisité Le Petit Poucet… Travailler à deux, c’est un vrai plaisir. C’est un exercice très différent, mais passionnant. Et j’aime beaucoup l’idée de donner le goût de la lecture dès l’enfance.
Dans Répondre à la nuit, vous vous frottez au polar, même si ce roman est bien plus que l’histoire d’une enquête. Pourquoi cette envie d’aller chercher un nouveau genre littéraire ?
Pour ne pas m’ennuyer. Mes romans précédents parlaient de reconstruction, de rencontres entre personnes cabossées par la vie. J’avais envie de changer de registre. L’intrigue, et le travail sur l’intrigue, m’intéresse. Déjà dans le précédent roman, il y avait un début d’enquête. Cette fois, j’ai approfondi. J’ai travaillé avec des techniciens de la gendarmerie. Et j’ai repris ce personnage de Frédéric Legrand, qui est technicien en identification criminelle. Alors, comme vous le dîtes, ce n’est effectivement pas un polar au sens strict — l’enquête n’est pas au cœur du récit dès le début — mais on en retrouve certains codes et j’ai aimé, à travers le récit et l’intrigue, jouer avec mes lecteurs.
Le roman fourmille de détails documentés sur la nature, la faune, la flore, le monde de la chasse, et même celui du tatouage… Quel travail de recherche vous a-t-il demandé ?
Il y a toute une partie sur laquelle, je n’ai aucun mérite, car je vis en pleine nature, dans les Vosges. Le brame du cerf, je l’entends chaque automne, en ouvrant la fenêtre. Le jardin, les balades en forêt, tout cela fait partie de mon quotidien. Mais je mène, sur chacun de mes romans, un travail de documentation rigoureux. Pour Répondre à la nuit, j’ai collaboré avec Marc Namblard, audio-naturaliste. Ils sont très peu en France, quatre ou cinq. Il m’a beaucoup aidée à décrire et formaliser, par écrit, les sons de la nature. J’ai intégré, à la fin de mon roman, un QR code dans le livre qui renvoie à ses enregistrements. C’était passionnant. Au point que j’ai eu envie d’en faire un personnage, celui de Maxence, que je n’avais pas prévu au départ. J’ai aussi rencontré une tatoueuse à Paris qui m’a fait découvrir cet univers. Enfin, j’ai des chasseurs tout autour de moi. Nous ne sommes pas chasseurs, ni mon mari, ni moi. Mais je côtoie, dans mon village, un jeune chasseur qui m’a beaucoup raconté ce milieu. J’ai voulu rendre tout cela aussi crédible que possible.
Vous êtes une militante environnementaliste, mais vous ne portez pas un regard manichéen sur le monde de la chasse. C’était important pour vous ?
Oui. Ce que je veux dénoncer, c’est justement le manichéisme ambiant. Ce besoin de tout diviser entre « pour » ou « contre ». Il y a de la nuance, des zones de dialogue et de compromis possibles. Avec mon mari, nous tenons un gîte. Et bien on échange régulièrement avec les chasseurs locaux pour orienter les clients vers des zones où ils ne sont pas. En bonne intelligence, et ça fonctionne.
Peut-on dire que Répondre à la nuit est un manifeste, un cri d’alerte écologique ? Est-ce ainsi que vous l’avez imaginé ?
Oui, un cri profond. Je suis très en colère face à ce qui se passe : que ce soit dans le milieu de la forêt, avec les coupes rases, qui n’ont aucun sens, que ce soit pour la régulation des espèces nuisibles, qui prolifèrent parce qu’on supprime les prédateurs… Je suis favorable à la réintroduction des grands prédateurs comme le lynx, par exemple, très utiles à l’équilibre de la forêt. J’ai passé trois jours au centre Athénas, dans le Jura, qui recueille et relâche des lynx blessés. Ce qu’ils font est concret, efficace. Et pourtant, les pouvoirs publics ne bougent pas. Ou pas assez. Donc oui, mon roman est un cri du cœur. Raconter une histoire est une manière de transmettre des idées, de faire passer des messages qui, je l’espère, peuvent éveiller les consciences.
Certains personnages du livre vous ressemblent-ils ?
Je me reconnais un peu en chacun d’eux… sauf Richemont, le chasseur ! J’aimerais atteindre la connaissance de la nature de Victoire. Et j’admire les activistes comme Éloïse. J’adhère à cette idée qu’on ne défend pas la nature : on est la nature. Et quand on se bat pour elle, on se défend nous-mêmes. C’est insupportable d’entendre parler d’éco-terrorisme pour désigner des gens qui luttent pour le vivant. J’ai perdu un enfant d’une leucémie. On ne saura jamais pourquoi. Mais aujourd’hui, les liens entre cancers pédiatriques et pesticides se confirment. Pourtant, on assouplit les interdictions sur les produits toxiques. Ça me bouleverse.
Vous évoquez dans votre livre le commissaire Adamsberg, un personnage emblématique de Fred Vargas. Cette grande auteure de polar est-elle un modèle pour vous ?
Oui. C’est mon modèle. J’adore l’auteure et son style. J’aime son œuvre. J’aime, aussi, la personne, son engagement écologique. C’est une immense inspiration. J’aime aussi Olivier Norek, Bernard Minier, Franck Thilliez… Je lis beaucoup de polars.
Quelle écrivaine êtes-vous ? Disciplinée, vous écrivez à jours et heures fixes ? Où vous laissez-vous porter par l’inspiration ?
Pas vraiment. J’écris quand j’ai le temps. L’été, je m’occupe de la ferme et de mon jardin potager. Mon mari est agriculteur, je l’aide beaucoup. Nous avons une vingtaine de chèvres en lactation, nous transformons le lait en fromage, nous avons 300 pieds de petits fruits et un gite ! Mais, pendant ce temps, j’élabore l’histoire dans ma tête. Je commence à écrire l’hiver, quand tout est prêt. Et là, j’écris chaque jour. Sans discipline stricte, mais avec constance.
Votre parcours est étonnant : des études scientifiques ; vous avez été, un temps, sage-femme, puis agricultrice, écrivaine…
Oui, c’est vrai. J’aime apprendre, créer, changer. Je fais aussi de la poterie, du crochet, de la céramique. On a, avec mon mari, un gîte, une ferme bio. Je me sens plus paysanne qu’agricultrice. Et j’adore ça. Cela nourrit beaucoup mon écriture
.Sur quoi travaillez-vous aujourd’hui ?
Un nouveau roman, mais je n’en dirai pas plus. Encore sur le vivant et la nature. C’est ma façon de me battre. Avec mes mots.
*Répondre à la nuit, d’Agnès Ledig, Éd. Albin Michel, février 2025, 342 pages, 22,90€.