Finalement, il vous dit quelque chose, notre homme ?
Nous arrivions à hauteur de Gonfreville-l’Orcher, la raffinerie sortait de terre, indéchiffrable et nébuleuse, façon Gotham City, une autre ville derrière
la ville, j’ai baissé ma vitre et inhalé longuement, le nez orienté vers les tours de distillation, vers ce Meccano démentiel. (…) L’étrange puanteur s’engouffrait dans la voiture, mélange d’hydrocarbures, de sel et de poudre. Il m’a intimé de refermer, avant de m’interroger de nouveau, pourquoi avais-je finalement demandé à voir le corps ? C’est que vous y avez repensé, c’est que quelque chose a dû vous revenir. Oui, j’y avais repensé. Qu’est-ce qu’il s’imaginait. Je n’avais pratiquement fait que penser à ça depuis ce matin, mais y penser avait fini par prendre la forme d’une ville, d’un premier amour, la forme d’un porte-conteneurs.
Maylis de Kerangal est l’autrice de sept fictions aux Éditions Verticales, dont Corniche Kennedy (2008), Naissance d’un pont (2010, prix Médicis, prix Franz-Hessel), Réparer les vivants (2014, dix prix littéraires), Un monde à portée de main (2018) et Canoës, ainsi que de trois récits dans la collection
« Minimales » : Ni fleurs ni couronnes (2006), Tangente vers l’est (2012, prix Landerneau) et À ce stade de la nuit (2015).